L’économie d’influence et vie privée : focus sur Clubhouse
Clubhouse est une nouvelle plateforme basée sur la voix. L’application propose des « salles » virtuelles qui regroupent des personnes autour d’un sujet de conversation. Ainsi, comme dans la vraie vie, vous pénétrez une salle en tant que spectateur et pouvez tenter de prendre la parole en levant la main et espérer que l’orateur vous la donne : mais à quel prix pour la protection de la vie privée ?
Il vous est également offert la possibilité de créer votre propre salle et y inviter ou rencontrer des personnes du monde entier. Qu’il s’agisse de talk-shows, de soirée DJ, de speed-dating, de débats, Clubhouse nous offre l’opportunité de e-revivre les plaisirs quotidiens tels que nous les connaissions avant la pandémie. Selon un porte-parole publié dans le New York Times :
« Nous croyons que la voix est un moyen puissant permettant aux gens de se connecter, de partager, d'apprendre et de grandir grâce à une conversation authentique. Sur Clubhouse, n'importe qui peut être créateur en créant une salle et en organisant des conversations ».
À l’heure où les cyberattaques sont grandissantes et dans un contexte où des internautes malveillants se saisissent des réseaux pour divulguer leurs idées extrémistes, nous verrons l’impact que cela peut avoir sur la vie privée des individus tout en rendant compte de la place centrale dans l’économie digitale que détiennent les créateurs.
Qu’est-ce que l’économie d’influence ?
Clubhouse a lancé un « programme pilote » afin de donner son accès à seulement quelques utilisateurs dans un premier temps. Les personnes d’influence sur ladite plateforme ne représentent pas - contrairement à TikTok, Instagram ou Snapchat - la génération Z ni Y mais sont des quadragénaires et cinquantenaires.
Les créateurs de contenu ou influenceurs se révèlent être la clé pour booster la notoriété d’une plate-forme en ligne. C’est un aspect qui n’a pas échappé aux investisseurs en capital-risque qui misent d’importantes sommes d’argent sur ces créateurs qui génèrent une affluence accrue sur les plateformes digitales. En effet, une société a récemment recruté en tant que partenaire de capital-risque, un utilisateur phare de TikTok, âgé seulement de 18ans.
À titre d’exemple, la plate-forme Vine qui permettait d’enregistrer et de partager de courtes vidéos a retiré son application du marché suite au départ de bon nombre de ses utilisateurs vedettes, à défaut de les rémunérer à hauteur de leur engagement. Vine a ainsi fait les frais de l’incapacité à conserver ses créateurs.
Cette illustration est révélatrice du phénomène d’ « économie des créateurs » ou d’ « économie d’influence » et Clubhouse s’en ai emparé à son tour. Le défis principal de l’application sera de monétiser son concept afin de pouvoir rémunérer ses utilisateurs.
Les limites de l’e-influence : application du RGPD
Les plateformes permettant de créer du contenu sont, sans exception, sujettes à des dérives, dès lors que l’on dispose de libertés certains tentent d’en abuser, ces médias n’étant finalement que le reflet de l’humanité.
Clubhouse a été dénoncé comme « inactif » suite à des créations de contenu relayant des idées antisémitisme, homophobes, misogynes et racistes. Il semblerait que l’application ne s’est pas dotée d’un système permettant de filtrer en amont la constitution de salles virtuelles au profit de groupes haineux. De tels agissements témoignent d’une violation manifeste des principes communautaires.
En effet, le règlement général sur la protection des données (RGPD) a de nombreuses fois été reconnu comme le « meilleur régime de protection des données au monde ». L’Union Européenne se présente comme véritable bastion de la liberté et en tant que mur de protection contre les atteintes à la vie privée. La numérisation grandissante va dès lors de paire avec une protection efficace des données.
Le commissaire d'État à la protection des données et à la liberté de l'information, le professeur Dieter Kugelmann, a dénoncé il y a peu de temps, la dangerosité de l’application Clubhouse. Selon lui, ses utilisateurs seraient contraints de fournir les données de contact d'autres personnes stockées sur leur appareil sans avoir à y consentir. De plus, l’application enregistrerait en permanence des données - relatives notamment aux enregistrements de conversations - et les re utiliserait par la suite, sans être transparent à ce sujet. M. Kugelmann recommande ainsi de s’abstenir de la télécharger, en raison de la contrariété aux exigences du RGPD dont Clubhouse fait preuve.
Rappelons le, le RGPD impose une information complète et précise de la part de celui qui traite les données. Les personnes concernées doivent être en mesure de connaître la raison de la collecte des différentes données les concernant, comprendre le traitement qui en sera fait et enfin, les droits qui leur sont offerts pour exercer un contrôle sur celles-ci. Tout ceci contribue au respect du principe posé à l’article 6 du RGPD sur la licéité du traitement.
Quid les données sensibles ?
De surcroit, l’article 9 du RGPD précise le traitement portant sur des catégories particulières de données à caractère personnel et on y retrouve celles relevant de l'origine raciale ou ethnique, des opinions politiques, des convictions religieuses ou philosophiques ou d'appartenance syndicale, ou voire des données biométriques, telles que la voix. Dès lors, les propos racistes et antisémites sont prohibés en ce qu’ils contreviennent au respect des droits fondamentaux et des intérêts des personnes concernées, sans parler de l’éventuelle possibilité de reconnaitre ou identifier personnellement un utilisateur de l’application via sa voix et les risques y associés.
Clubhouse a donc le devoir d’assurer le respect de ces valeurs fondamentales que prône l’Union Européenne. L’application devra se conformer aux exigences du RGPD et assurer un contrôle en amont et a posteriori, via des fonctionnalisés permettant de bloquer, signaler voire exclure les utilisateurs malveillants.
Si vous avez des questions concernant vos droits relatifs à la vie privée ou en lien avec la conformité au RGPD, surtout si vous l’utiliser afin de promouvoir votre activité professionnelle, n'hésitez pas à nous contacter !
De même, faites-nous savoir ce que vous inspire cette nouvelle plate-forme de conversation et le phénomène d’économie d’influence !
Article rédigé par Manon Coste @ Gerrish Legal, février 2021 / Photo de couverture : William Krause sur Unsplash